Il devait être près de vingt-et-une heure lorsque la porte de la demeure s'ouvrit lentement, dévoilant la silhouette d'une jeune femme, petite, fine et élancée. D'une main, elle referma la porte, tandis que de l'autre, elle appuya sur l'interrupteur, laissant voir qu'il s'agissait de Natasha Williams. La jeune femme se rendit dans la cuisine, déposa ses clefs sur la table, enleva sa veste, la laissa pendre au porte-manteau. Exténuée, elle l'était, oui. Bradford exigeait qu'ils fassent des heures supplémentaires pour terminer leur rapport et les enquêtes se succédaient. Ajoutons à cela le stress de savoir si elle pouvait faire, ou non, son stage au Behavioral Analysis Unit, plus ses cauchemars qui revenaient sans qu'elle ne sache pourquoi, la jeune blonde ne fermait presque plus l'oeil et se droguait au café. Encore plus qu'à l'accoutumé, ce qui, et elle le savait parfaitement, était mauvais pour son organisme. Mais, à vrai dire, elle ne s'en occupait pas ; tant que ça pouvait l'empêcher d'être sujet à ses démons, tout allait pour le mieux. Même si, pour ce faire, elle devait se bousiller la santé. Natasha se rendit dans sa chambre, rangea son arme dans son tiroir sécurisé - protection pour éviter qu'Allison ne s'en empare - et, sortant de sa pièce, elle prit la direction de la salle de bains. Elle avait à peine la force de se changer tant elle était épuisée et n'étais pas certaine qu'Abigail soit rentrée. Elle se vêtit de son pyjama, un débardeur foncé qui soulignait son corps et un pantalon large bleu clair dans lequel elle se sentait à l'aise et après avoir grossièrement attaché ses cheveux à l'aide d'une pince, laissant quelques boucles blondes rebelles s'en échapper et reposer sur ses épaules blanches, elle sortit de la pièce. Passant devant la cuisine, ce ne fut qu'à cet instant qu'elle aperçut la tasse de café qui reposait au milieu de la table, juste à côté de ses propres clef. Elle devait vraiment être fatiguée pour ne pas l'avoir remarqué plus tôt. Ne pouvant résister à son péché mignon, elle attrapa la tasse, à présent certaine qu'Abigail était déjà rentrée. En effet, elle pouvait distinguer du bruit provenant du salon et entendait le son de la télévision. Lentement, presque à pas de loup, elle s'y rendit et découvrit sa meilleure amie assise sur le canapé, Allison à ses côtés, blottie contre sa mère. L'agent du FBI s'approcha, déposa un baiser sur le front de sa filleule et s'installa à côté de sa colocataire. Retenant un soupire d'extase, elle ne put s'empêcher de fermer les yeux tant ça lui faisait du bien d'être assise dans un divan, et non pas une chaise, devant un bureau.

Bonsoir vous deux. Vous avez passé une bonne journée ? Pas trop fatiguées ?

La jeune femme avait sourit en entendant la réponse de sa filleule ; elle-même ne parlait pas un mot d'allemand - elle n'aimait pas cette langue qu'elle trouvait trop barbare, presque sauvage - bien qu'Abigail ait plusieurs fois tenté de le lui apprendre lorsqu'elles étaient jeunes. Elle, elle avait opté pour l'apprentissage de l'espagnol et du français, même s'il ne lui restait pratiquement rien de ses cours d’antan étant donné qu'elle ne le parlait pas couramment. Elle se souvenait de l'été où Abigail était partie en Allemagne, pour voir sa famille. Lorsqu'elle en était revenue, elle mélangeait l'américain et l'allemand tant elle l'avait parlé, et Natasha n'avait pratiquement rien compris de tout ce qu'elle avait pu lui raconter. Sourire aux lèvres, l'agent avala une gorgée de café et le liquide brûlant sembla liquéfier sa gorge. Elle toussa légèrement, se tint plus droite l'espace de quelques minutes et se tourna ensuite vers Abigail, les larmes aux yeux tant sa boisson préférée l'avait brûlée.

Waoh ! Tu tiens à me faire perdre ma gorge ou quoi ? articula-t-elle entre deux toux. En tout cas, Ally, je suis fière de toi. Elle s'appelle comment ? Tu es la seule à lui parler ? Elle parle un peu l'anglais ? Elle vient de quelle ville ? Est-ce qu'elle...

Natasha se tut en croisant le regard désapprobateur de sa meilleure amie ; elle pinça les lèvres et s'excusa auprès de sa filleule. Surprotectrice de nature, elle posait toujours tout un tas de question afin de tout savoir sur les personnes que son entourage fréquentait, allant parfois même jusqu'à l'interrogatoire complet et étant une ancienne journaliste reconvertie dans le fédéral, cela ne faisait qu'empirer les choses. Voulant changer de sujet avant qu'Abigail ne lui fasse remarquer qu'elle n'avait nullement besoin de poser autant de question, elle préféra la devancer et répondre.

Dossiers, encore et toujours. J'ai l'impression que plus j'en fais, plus il y en a qui s'empilent sur mon bureau. Je soupçonne Bradford de m'en donner d'autres lorsque je m'absente, mais Ashley a toujours autant que moi, alors ça me rassure un peu. Au moins, il ne s'acharne pas sur moi... Je pense que j'aurai bientôt une affaire sur le dos, mon chef avait un dossier à la main et le directeur demandait à ce qu'il mette du monde sur l'affaire. A mon avis, je suis pas prête de rentrer le soir.

Elle poussa un soupire, souffla sur son breuvage noir avant d'en boire une gorgée. Elle grimaça en constatant qu'il était toujours aussi chaud, mais elle avait trop besoin pour s'y attarder.

Au fait, merci pour le café. Dis-moi, tu es sûre que ça va ? Tu es pâle, Abby, j'aime pas ça du tout.

Un regard tout ce qu'il y avait de suspicieux, Natasha avait reposé son regard perlé sur sa filleule, prête à reprendre son petit interrogatoire lorsqu'elle aperçut, plus qu'elle ne vit, Abigail se lever d'un bond avant de se précipiter en direction des toilettes. La jeune femme blonde échangea un regard avec l'enfant, et, lui intimant l'ordre de rester assise, l'agent du FBI se leva et, sans se presser, elle prit le même chemin que sa meilleure amie. Elle s'arrêta sur le pas de la porte contre laquelle elle s'appuya, un sourire mi-figure, mi-raisin collé sur le visage. Elle savait lorsqu'Abigail lui mentait, et même si elle ne disait rien en préférant attendre que celle-ci se lance, elle n'était pas crédule et avait bien remarqué que son amie n'allait pas bien ces derniers temps. Ayant le sommeil léger et étant insomniaque depuis l'enfance, il n'était pas rare qu'elle soit réveillée par sa colocataire qui utilisait les sanitaires à des heures différentes dans la nuit.

Ah oui, tout va bien, laissa-t-elle échapper, ironique. Tu m'excuseras, j'ai un peu de mal à te croire là...

Elle tendait la perche à Abigail pour que celle-ci se décide enfin à parler. Comme les régurgitations de son amie d'enfance avaient finalement pris fin, Natasha alla chercher un gant de toilette qu'elle passa sous l'eau fraîche et retournant vers sa colocataire, qu'elle retrouva assise dans les sanitaires, et lui posa le gant sur le front pour calmer les bouffées de chaleur et les futures nausées. Elle finit par s'asseoir à ses côtés et attendit patiemment qu'elle prenne la parole, sans la brusquer à aucun moment, lui prouvant juste par sa présence proche qu'elle resterai présente à n'importe quel moment. Solidaires, elles l'étaient, et le seraient jusqu'au bout de leur vie, comme elles se l'étaient si bien promis.

Il y avait eu un silence avant qu'Abigail ne se décide à parler, et, si la jolie blonde du FBI n'était guère étonnée de cette révélation, elle ne pouvait que se réjouir de cette merveilleuse nouvelle. Cependant, au lieu de sauter au plafond comme l'auraient fait toutes les meilleures amies normalement constituées dans une telle situation, Natasha comprenait qu'il devait être dur pour Abigail de penser à élever un second enfant toute seule. Allison avait eu la chance ─ hum hum, était-ce réellement une chance que de connaître un être aussi égoïste que Benjamin ? ─ de connaître son père et, dotée d'une très grande intelligence, avait compris, lors de la séparation de ses parents, qu'elle ne le reverrait probablement jamais, mais grandir sans jamais connaître notre géniteur, ça pouvait s'avérer être difficile. Tendrement et presque d'une façon maternelle, la jeune femme attrapa la main de sa meilleure amie et la tint dans les siennes, puis, doucement, elle l'a prit dans ses bras.

Abby, tu es la meilleure mère qu'il puisse exister au monde. Allison m'approuverait et personne ne pourrait me démentir, et c'est une merveilleuse nouvelle que tu m'apprends, là. Tu seras là pour élever tes deux enfants, et tu ne seras pas seule ; moi, je serai là. Benjamin ne sait pas ce qu'il rate, mais, de toute façon, ce n'était qu'un imbécile névrosé et imbus de sa personne et de ses trésors. Il n'a pas sût remarquer que les plus beaux trésors qu'il pourrait jamais avoir, c'était Allison, toi et le futur bébé.

Natasha avait murmuré ces quelques paroles à l'oreille de son amie qu'elle savait sensible ; elles se connaissaient tellement que lorsque l'une d'elle allait mal, elle n'avait pas besoin de faire part de ses craintes pour que l'autre la comprenne et trouve les mots adéquats pour la réconforter. Elles pouvaient se comporter comme de véritables gamines quand elles étaient ensemble, mais bien souvent, il était impossible de s'en prendre à l'une sans vexer l'autre. C'était cela, leur amitié, toujours se défendre et se protéger. Se détachant légèrement d'Abigail, la jeune agent plongea son regard de métal dans celui outre-met de sa meilleure amie. C'était l'une des rares fois où aucun sourire ne venait illuminer son visage et ne la rajeunissait pas, au contraire, son expression mortellement sérieuse lui donnait un aspect maternel sans pour autant lui ôter la pureté et la finesse de ses traits.

Ca fait combien de temps que tu le sais ?

Tout semblait s'éclaircir, à présent, pour Natasha ; Abigail ne lui avait jamais réellement expliquer les raisons du divorce. Elle comprit alors que c'était sans doute à cause de cette grossesse non-préméditée qu'ils avaient voulut se séparer, déchirant Abigail de l'intérieur. L'agent du FBI avait vu sa meilleure amie s'effondrer lors de cette dure période, et elle n'avait pu que la soutenir en essayant de faire de son mieux afin de sécher ses larmes. Elle n'avait pas hésiter à aller voir Benjamin, un soir, dans le but de lui tirer les bretelles pour lui faire comprendre que s'il essayait de s'approcher d'Allison ou Abigail et qu'elle venait à l'apprendre, il risquait d'avoir un aperçut de l'Enfer. Oui, il ne fallait jamais se fier aux apparences avec Natasha qui, bien qu'on la pensait souvent fragile, enfantine et angélique, pouvait s'avérer être un véritable démon lorsqu'il s'agissait de son amie d'enfance qu'elle surprotégeait trop, surtout avec les garçons. Et après ce qui lui était arrivé durant tout une semaine de Juillet, Natasha n'avait fait que le devenir encore plus. Au point qu'elle en devenait presque étouffante. Trois mois qu'Abigail était au courant qu'elle portait la vie pour la seconde fois, et elle n'avait, apparemment, pas envie d'avorter, et sans doute était-ce mieux. Lentement et d'une façon rassurante, la jeune femme blonde passa sa main dans le dos de sa meilleure amie qu'elle frotta doucement en murmurant quelques paroles réconfortantes.

Abby, écoute-moi. Allison sera plus qu'heureuse de voir qu'elle aura un petit frère ou une petite soeur avec qui jouer et sur qui veiller. Regarde-la d'ailleurs, elle est épanouie avec toi. Certes, la présence d'un père peut parfois manquer, mais tu t'en sortiras à merveille, comme toujours. Il vaut mieux que cet enfant grandisse avec une grande soeur et une mère géniales, plutôt que d'entendre ses parents se disputer à son sujet, tu ne penses pas ?

Elle-même ne connaissait que trop bien les disputes parentales, et avait souvent été témoin d'engueulade entre son père et son frère aîné, ce qui l'avait blessée parce qu'elle tenait autant à l'un et à l'autre. A l'époque, du moins.

Abby, tu n'as pas besoin de veiller sur moi. Je suis une grande fille maintenant, capable de me débrouiller toute seule, tes enfants passent avant moi, et c'est tout à fait normal. Je sais ce que tu entends par veiller sur moi, et je veillerai toujours sur toi aussi, mais je ne compte pas réellement, pas comme Allison et ce futur bébé. Comme je te l'ai dis, tu pourras toujours compter sur moi si tu as un problème, bien que je ne sois pas aussi douée que toi avec les enfants, et tu ne seras pas seule toute ta vie. Tu es magnifique, tu trouveras vite quelqu'un. Quelqu'un de bien qui saura te mériter comme il se doit.

Elle passait maintenant sa main dans la chevelure blonde d'Abigail, continuant d'être cette présence maternelle qu'elle-même avait trop longtemps détesté. Natasha n'avait jamais eu l'impression d'être vraiment douée pour réconforter les gens, mais elle savait prêter une oreille attentive aux problèmes d'autrui. Cependant, persuader Abigail qu'elle avait raison, c'était une tout autre affaire ; en effet, les deux amies étaient de véritables têtes de mule qu'il était difficile de convaincre. Néanmoins, Natasha rationalisait toujours et, dans des moments pareils, savait faire preuve de sagesse. Ce qui était plutôt rare. Elle laissa son amie de toujours pleurer sur son épaule avant de finalement lui relever la tête et lui sécher les larmes, enlever le gant de toilettes de son front pour encrer son regard argenté dans les yeux saphir de sa colocataire.

Non, Abigail Constance Chase, tu n'es pas perdue. Et tu ne le seras jamais tant que je serai là. Tu sais pourquoi ? Parce que je t'ai promis, il y a longtemps maintenant, que tu pourras toujours venir me voir, ma porte te sera toujours ouverte. Cet enfant, tu as le choix de le faire vivre, ou non. Soit tu décides d'avorter et tu perds ce qu'il y a de plus merveilleux dans une vie ; un second enfant. Soit tu le gardes, et tu l'élèves en le chérissant, en faisant confiance en Allison et ses talents de grande soeur, et en me faisant confiance car moi, je t'aiderai à l'élever.

Le regard triste, compréhensif, Natasha avait mal au coeur de ne pas savoir que faire pour aider sa meilleure amie. Elle se sentait parfois réellement inutile et détestait avoir cette impression désagréable. Comme une soeur. Ces mots résonnèrent dans l'esprit de Natasha qui mit du temps avant de répondre. Oui, elles se considéraient comme des soeurs et les parents de l'une étaient les parents de l'autre. Elles étaient pratiquement jumelles, et se ressemblaient énormément sur le plan physique, bien que l'une trouvait l'autre très belle et se trouvait tout ce qu'il y avait de plus banal. L'agent du FBI resserra son bras autour des épaules de sa meilleure amie. Elle resterait là, coûte que coûte, même si elle devait passer la nuit à la soutenir et la réconforter sur son choix. Comme une soeur. Elle ne l'abandonnerait pas, lui offrant toujours une main pour l'aider à se relever et montrer toujours plus haut si Abigail tombait. Comme une soeur.

Ecoute, Abby, garde-le. Elève-le. Que ce soit l'enfant de Benjamin n'est pas le plus important. Le plus important, c'est que ce soit le tien. Et que tu l'aimes, que tu le protèges parce qu'il en aura besoin. Tu n'as pas besoin d'un père pour l'élever, tu t'en sors à merveille toute seule. Regarde Allison si tu veux une preuve. Cette petite est sans doute l'enfant la mieux élevée que j'ai jamais vu.

Comme si elle avait sût que les deux adultes étaient en train de parler d'elle, Allison apparut, à côté de la porte, un air profondément inquiet peint sur le visage. Comme souvent, elle n'aimait pas quand sa mère était malade et s'en inquiétait toujours, tout comme Natasha.

Maman.... Ca va ? demanda-t-elle, la voix tremblante.

La jeune femme blonde laissa un long silence envahir la pièce exiguë, regardant juste Allison venir se blottir dans les bras de sa mère. La jeune fille avait l'estomac noué et avait peur de ce que pourrait lui avouer sa mère ; si elle pleurait, alors ça devait aussi important que grave, et mauvais signe. Du haut de ses sept ans, la dernière des Chase, pour l'instant, avait une vision déjà bien avancée pour son âge et était capable de comprendre très vite quand quelque chose n'allait. D'autant plus que Natasha l'avait toujours traité en adulte, sans lui mentir sur certain détail et l'agent du FBI contraignait parfois son amie à en faire de même ; le mensonge n'avait rien de bon, et Allison était apte à encaisser. Jetant un coup d'oeil à sa montre, elle remarqua qu'il était plus tard qu'elle ne le pensait, et le lendemain allait être une nouvelle journée surchargée de dossier.

Dis-moi, toi, il serait pas l'heure d'aller au lit, par hasard ?

Elle s'était, bien sûr, adressé à la jeune enfant qui, air innocent peint sur le visage, leur souhaita une bonne nuit avant de se rendre dans sa chambre sous l'oeil amusé de Natasha. Celle-ci se tourna vers son amie de toujours et, tendrement, elle déposa un baiser sur son front pour la réconforter, geste banal et maternel qu'elles avaient pris l'habitude de faire lorsque l'une allait mal. Regard compatissant, la jeune femme conseilla à sa colocataire d'aller se coucher pour survivre à la journée qui l'attendait le lendemain et d'en avertir son supérieur. Après quelques minutes de répits, elle rajouta qu'elle resterai dans la cuisine le temps de finir son café. La vérité, c'était qu'elle ne dormirait pas et elle avait emmené quelques dossiers avec elle pour s'avancer dans cette paperasserie, comme elle le faisait souvent quand elle sentait qu'elle ne parviendrait pas à fermer l'oeil à cause de ses insomnies. Comme pour appuyer ses dires, elle se leva et tendit une main à Abigail afin de l'aider à se relever à son tour.

T'en fais pas, ça se passera bien.

Elle lui adressa un sourire réconfortant et un clin d'oeil pour lui montrer qu'elle la soutenait jusqu'au bout, comme toujours depuis qu'elles se connaissaient.