Natasha tournait en rond ; contrairement à l'époque où elle bossait pour Bradford, les dossiers se faisaient plus rares sur son bureau et bien que ça ne lui manque pas le moins du monde, elle ne savait, à présent, plus quoi faire lorsqu'ils n'avaient pas d'enquête. Et le temps semblait s'écouler au ralentit, offrant ainsi un début de migraine à la jeune blonde qui, sans doute à force de boire du café, était un tant soit peu sur les nerfs et n'était donc pas d'humeur à plaisanter. Elle faisait des vas et viens entre son bureau et la cafétéria, enchaînait les cafés les uns après les autres, jouait avec sa chaise, poussait de profonds soupires exaspérés, pianotait rageusement sur sa table, faisait craquer ses doigts et sa nuque, secouait frénétiquement sa jambe droite, enroulait ses longues mèches blondes autour de son index et tirait dessus nerveusement. Même une personne souffrant d'hyper-activité ne pouvait être aussi insupportable qu'elle à ce moment-même et, à son plus grand damne, elle ne pouvait quitter le bureau plus tôt que ses horaires. La jeune Williams lança un regard excédé à sa montre et faillit s'étouffer en voyant qu'il n'était que quatorze heures trente, et qu'il lui restait encore quatre heures à attendre avant d'être enfin libérée. C'était pire que l'école, ou le lycée, lorsque les cours vous font l'effet d'être emprisonner et que vous êtes contraints à être attentifs sous peine de prendre quelques années de plus. Soupirant pour la énième fois depuis le début, elle repoussa sa chaise, finit son café en une longue gorgée et, déterminée comme une journaliste à l'affût du dernier scoop en exclusivité, elle se rendit lentement vers l’ascenseur. Comme si ce dernier avait décidé de mettre sa patience à l'épreuve, il mit d'interminables minutes ─ à moins qu'il ne s'agissent d'heures ! ─ avant d'arriver à bon port. D'une enjambée, la jeune femme se retrouva à l'intérieur de l'imposante machine et appuya sur l'étage inférieur là où se trouvait, si ses souvenirs étaient bons, la salle de tirs. Là-bas, pensait-elle, elle pourrait se défouler en vidant son chargeur et cette activité passerait le temps, car oui, lorsqu'elle était concentrée sur une tâche précise, non seulement il était difficile de la faire lâcher prise, mais elle était tellement absorbée qu'il lui semblait que le temps accélérait à une vitesse folle. Il y eut une très légère secousse lorsque l'ascenseur parvint à destination et à peine les portes étaient-elles ouvertes que Natasha se faufilait dans le long couloir gris dont les seuls décorations étaient des cadres contenant les portraits des plus grands tueurs en série encore recherchés ou d'ores et déjà arrêtés mais qui avaient marqués l'histoire des Etats-Unis à jamais. Passant devant chacun d'eux, la jeune femme blonde traversa le corridor et s'arrêta devant une porte métallisée. Étrangement semblable à toutes celles qui peuplaient cet établissement. Elle posa brusquement sa main sur la poignée, faisant preuve de tout, sauf d'élégance, et après l'avoir abaissée, elle la poussa délicatement. Plus par habitude et par curiosité qu'autre chose, son regard argenté afin d'analyser s'il y avait déjà des personnes présentes. Un coup de feu tiré fut la réponse à sa question, et, une fois remise du sursaut que cela avait provoqué, elle avança de deux pas, ses talons claquant sur le sol, ôtant toute discrétion à son entrée et à force d'essayer de se baisser ou de se hisser sur la pointe des pieds dans l'espoir d'identifier la personne présente, et il lui sembla reconnaître son supérieur. Maudissant sa curiosité naturelle de toutes ses forces, elle fit quelques pas de plus, presque sur la pointe des pieds pour qu'on ne la remarque pas ─ bien qu'il devait être à présent trop tard ─ elle put, effectivement, voir qu'il s'agissait bel et bien de l'agent spécial Hotchner. Un léger sourire aux lèvres, presque timide, elle reposa ses talons sur le sol le plus silencieusement possible et s'appuya contre le mur pour mieux l'observer. Toujours vêtu d'un costume élégant, il avait cette prestance et ce charisme qui le rendaient si attirant et elle ne pouvait s'empêcher de le trouver plus beau encore lorsqu'il changeait son chargeur pour se remettre à tirer. Tendant la main, elle attrapa le casque le plus proche et le déposa sur ses oreilles avant que les coups de feu ne lui brisent les tympans et qu'elle ne devienne sourde. Elle observait chacun de ses gestes avec attention, comme si elle voulait, par ce fait, retenir tous ses mouvements. Elle avait conscience que, s'il se tournait, il la verrait et qu'elle n'aurait aucune raison valable pour justifier le fait qu'elle avait les yeux rivés sur lui, le dévorant littéralement du regard comme un enfant une sucrerie. Mais cela lui était égal, du moment qu'elle pouvait le regarder.

Son regard de métal ayant suivit avec attention les balles qui étaient alors allées se nicher dans divers parties de la cible rouge qui, si elle avait été une vraie personne, n'aurait pas survécut à ses tirs mortellement précis. Elle n'avait pas bougé d'un centimètre, et continuait d'admirer son supérieur. Tant et si bien qu'elle faillit ne pas s'apercevoir qu'il avait retiré son casque, ses yeux ténébreux posés sur elle, et qu'il lui parlait. Ôtant, à son tour, l'imposant casque, elle n'entendit que la fin de sa question et cela lui suffit à comprendre ce qu'il lui avait demandé ; l'espace de quelques minutes, elle eut l’irrépressible envie de lui rétorquer qu'en réalité, elle était dans la salle de tirs pour faire un jogging, et que c'était d'ailleurs pour cela qu'elle était vêtue d'un jean, car c'était très pratique pour courir, mais elle le respectait bien trop pour faire preuve d'autant d'insolence, et elle s'abstint de tout commentaire. Comme il n'allait pas tirer dans l'immédiat, elle s'approcha encore de quelques pas, jusqu'à parvenir à sa hauteur.

Oui, enfin, plus ou moins... Je cherche surtout à faire passer le temps en fait.

Elle agrémenta sa réponse d'un léger sourire, et, machinalement, sa main alla se plonger dans sa crinière dorée et ses doigts s'emprisonnèrent dans l'une de ses boucles blondes ; ce tic, elle l'avait toujours eu, ce qui faisait qu'elle ne pouvait mentir lorsqu'elle était embarrassée ou qu'elle réfléchissait de façon intense. Mal à l'aise face à ce regard sombre, et ne désirant pas se rendre ridicule, elle préféra lancer ses yeux gris sur la cible que l'agent supérieur venait de blessé. Non, pas qu'elle pensait être la meilleure en tirs, loin de là, au contraire même, elle avait parfaitement conscience d'être une très bonne tireuse mais elle savait aussi que d'autres personnes, comme Kira ou bien l'agent Hotchner, tiraient beaucoup mieux qu'elle, elle ne put s'empêcher de le commenter, comme pour vérifier qu'il avait tout de même remarqué que ses tirs étaient excellents, malgré son visage inexpressif.

Jolis tirs.

Aaron sourit légèrement à la réponse de Natasha. Il était vrai qu'en ce moment, les enquêtes étaient soient vite résolues, ou soit les profilers n'étaient pas dans l'obligation de se déplacer pour boucler une affaire, juste un envoi de profil et le tour était joué. Il ne restait en général que la paperasserie à remplir, le travail le plus pénible à faire et Aaron devait en remplir deux fois plus que ces collègues puisqu'il était chef d'équipe. Il n'aimait pas vraiment, mais après tout c'est le travail, une fois qu'il était lancé, il ne s'arrêtait plus jusqu'à ce qu'il ai terminé.

Quand Natasha tourna la tête pour observer la cible criblée de balle, il tourna également la tête dans cette direction. Il était toujours impassible, même avec la remarque que Natasha venait de faire. Pour lui, ça faisait bien longtemps que tirer sur une cible qui ne bougeait même pas était devenu insignifiant. C'était parce que justement, cette cible ne se déplaçait pas. Seul les "cibles" sur le terrain comptait pour lui car c'était beaucoup plus difficile de les toucher. Il savait très bien qu'il était un excellent tireur puisqu'il avait déjà abattu un tueur en ne tirant qu'une seule balle, mais ça ne lui faisait rien de recevoir des éloges de la part de ces collègues.

Merci lança t-il

Il reprit son casque et se recula pour laisser la place à Natasha

Je suppose que vous voulez à votre tour essayer.

Natasha était restée figée en voyant le léger sourire qui s'était profiler sur le visage d'ordinaire si sévère de son supérieur ; cela le rajeunissait, le rendait humain et il lui semblait qu'elle ne l'avait jamais vu sourire, jusqu'à présent. Son coeur s'emballait devant cette image qui l'attendrissait et lui faisait monter le rose aux joues sans qu'elle puisse y remédier. Néanmoins, elle ne conserva pas son air idiote trop longtemps ─ et heureusement, d'ailleurs ─ car sa voix la sortie de sa torpeur et elle reprit ses esprits. Suite à sa proposition, elle haussa les épaules ; s'il souhaitait continuer à tirer, cela ne la dérangeait pas, elle pouvait toujours prendre place à un autre stand et tirer en même temps, mais elle s'aperçut que depuis qu'elle avait intégré le Département, il ne l'avait encore jamais vu sur le terrain, arme au poing et donc, prête à tirer sur un suspect. S'avançant d'un demi-pas, la jeune femme ajusta le casque sur ses oreilles, attendit que l'agent supérieur eut fait de même et, sortant son arme, un Glock 22 qu'elle traînait avec elle depuis ses débuts en tant qu'agent fédéral, elle se mit en position de tir ; étant une fausse droitière, il lui arrivait parfois de se comporter comme le ferait un gaucher, et davantage pour tirer, aussi, elle mettait sa jambe gauche légèrement en retrait, les doigts fermement enroulés autour de la crosse de son pistolet. Avec le regard scrutateur de l'agent Hotchner posé sur elle, Natasha ne parvenait pas à se concentrer, se contraignant à prendre une respiration calme, elle souffla doucement afin de reprendre pleinement possession de ses émotions, et elle replaça rapidement une mèche de cheveux derrière son oreille avant de lâcher les épaules, déjà beaucoup plus décontractée. Ses yeux gris se posèrent sur la cible et elle choisit rapidement un point spécifique sur le corps rouge de sa « victime » et, après avoir ajusté son arme afin que le viseur soit centré sur ce point, elle attendit, patiemment. L'école de tir où elle était été lui avait toujours reproché d'être trop impulsive et de tirer trop tôt, elle avait donc, au fil des années, appris à prendre son mal en patience jusqu'à ce qu'elle sente le bon moment arriver. Certes, ce conseil servait davantage pour une cible mobile que pour une cible fixe, mais elle l'appliquait toujours, ayant sans doute peur de l'oublier dans le cas contraire. Prenant une respiration régulière, elle finit par appuyer sur la gâchette, vidant son chargeur de ses six balles, ayant toujours ce léger à coup après chaque tir. Chacun de ses projectiles étaient allés se planter dans l'endroit voulu, créant ainsi un seul trou noir au niveau du poumon gauche, juste à côté du coeur. La jolie blonde retint un sourire satisfait et, en prenant son temps, changea son chargeur pour le remplacer par un neuf. Elle était tiraillée entre l'envie de pouvoir faire souffrir cette pauvre cible une seconde fois, et celle de savoir ce que son supérieur pouvait penser de ses tirs. Son regard de métal se posant sur la cible, elle releva son arme et vida de nouveau son chargeur. Cette fois-ci, toutes les balles étaient parties se loger dans le foie. Elle ne savait pas pourquoi, mais Natasha n'avait jamais aimé tiré dans la tête ; sans doute parce que c'était trop rapide ─ son côté psychopathe pouvait parfois ressortir quand elle avait une arme dans la main. Finalement calmée après ces douze coups de feu, elle rengaina son Glock 22 et, après avoir retiré son casque, se tourna vers son supérieur. Elle ne dit rien, ne voulant pas avoir l'air trop impatiente de savoir son opinion sur elle et sa façon de tirer.

Pendant que Natasha se préparait, il rangea son arme dans son étui à sa ceinture. Il prit soin de mettre son casque sur ces oreilles et observa sa jeune collègue qui se préparait à tirer. Il travaillait ensemble depuis trop peu de temps pour l’avoir évalué sur le terrain, il ne l’avait jamais vu à l’œuvre. Il la regardait se mettre en place, jambe gauche en retrait, bras tendus, prête à tirer. Sa posture était parfaite, il n’avait rien à redire dessus. Le premier coup fut parti, suivi de cinq autre coups. Toutes les balles s’étaient logées à l’endroit du poumon gauche. Une fois que Natasha rechargea son arme, six autres coups rententirent et ils se plantèrent au niveau du foie. Les tirs étaient nets, précis, mais malgré tout, Aaron avait un une petite chose à redire. Malgré que ces tirs soient tous excellents, Natasha se concentrait bien trop sur la cible or c’est sur le viseur qu’il faut se concentrer pour que son tir soit encore plus précis. Il retira son casque en même temps que Natasha et il lui fit part de cette première impression.

Joli tirs également, commença t-il, mais cela dit il y a quelque chose qui me gêne. Vous vous concentrez trop sur votre cible et pas assez sur le viseur. C'est l'une des principales étapes pour que votre tir soit le plus précis possible.

Comme à chaque fois qu'on la complimentait, Natasha sentit le rouge envahir ses pommettes et elle ne put que faire un léger signe de la tête afin de le remercier. Voyant qu'il enchaînait, la jeune femme blonde l'écouta avec la plus grande attention, essayant à la fois de se rappeler si on le lui avait déjà fait remarquer auparavant ou si tout le monde, à Washington DC, tirait comme elle, mais aussi de voir où il voulait en venir. Elle acquiesça pour lui montrer qu'elle comprenait ce qu'il lui reprochait et, bien déterminée à corriger ce défaut dans sa façon de tirer, elle attrapa du bout des doigts un chargeur plein, le plaça dans son Glock 22 et, d'un geste rapide car habitué, elle replaça le casque sur ses oreilles, vérifia que l'agent Hotchner avait fait de même pour reprendre sa position. Épaules relâchées, respiration contrôlée, bras tendus, l'index droit sur la gâchette, elle s'efforça de se concentrer sur le viseur mais, à l'instant même où elle appuya sur la gâchette, son regard dériva sur la cible et son tir, bien que mortel, parvint dans le lobe droit de l'oreille de la cible.

Merde... ! laissa-t-elle échapper entre ses dents.

Réajustant son arme, elle posa ses yeux de métal sur le viseur. Mais, une fois de plus, au dernier moment, toute son attention se concentra sur la cible. Contractant les mâchoires, elle ne laissa pas tomber, bien au contraire ; l'échec la motivait davantage pour s'entraîner encore et encore, jusqu'à ce que le résultat soit parfait. Troisième essaie. Trois, son chiffre fétiche. Allait-il lui porter chance ? Elle n'y croyait pas, mais savait que si elle devait réussir, ce serait à ce moment-là. Cette fois-ci, elle attendit, contrôla que ses yeux étaient bien scellés sur le viseur et qu'ils n'allaient pas le lâcher. Elle allait pour tirer lorsqu'elle se souvint que son patron se tenait derrière elle et qu'elle lui montrait qu'elle ne parvenait pas à tirer correctement. Ce fut probablement ce qui fut décisif, plus que le fait qu'elle en soit à son troisième essai, du moins. Inspirant profondément, elle finit par appuyer sur la gâchette. Néanmoins, car les vieilles habitudes demeurent, elle porta immédiatement après son regard argenté sur la cible. La balle avait laissé sa trace dans le cou de la cible rouge. Maintenant qu'elle avait compris comment cela marchait, Natasha finit de vider son chargeur de la même façon ; elle prenait son temps, puis tirait. Ca allait lui demander du temps avant qu'elle ne s'habitue à cette nouvelle façon de tirer et même maintenant qu'elle avait assimilé les choses, elle savait qu'elle aurait d'autres longues séances d'entraînement pour que son regard cesse de se jeter sur sa cible.

Natasha allait pour tirer lorsqu'elle avait sentit deux mains se poser sur ses bras et les pousser vers le haut de façon à ce que son arme soit au niveau de son regard. Son pouls s'accéléra, son coeur s'emballa, ses joues virèrent au rouge à ce simple contact qui, malheureusement, ne dura qu'une poignée de secondes, tout au plus. Elle qui était sur le point de vider son chargeur une fois de plus n'arrivait plus à tenir son arme d'une poigne de fer, maintenant. Tout cela parce qu'il l'avait touché. Elle était grave, quand même. Elle avait sentit son souffle chaud caresser ses cheveux, lui tirant des frissons, son parfum l'avait enveloppé et sa chaleur corporelle l'avait réchauffée en moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire. Comme elle lui tournait toujours le dos, elle ferma les yeux, soufflant légèrement dans l'espoir de recouvrer son calme, elle passa une main moite et tremblante sur sa nuque avant de reprendre son pistolet en main, les yeux sur son viseur. Elle porta l'arme à hauteur de son regard mais sa vision semblait avoir changée ; elle sentait continuellement le contact qu'ils avaient et cela l'empêchait d'être concentrée à cent pour-cent sur son tir. Elle tentait vainement de calmer la tempête qui faisait rage dans son cerveau, les battements de son coeur, cette avalanche de sentiments qui déferlaient en elle comme le ciel pouvait lui tomber sur la tête. Elle tira. La balle alla se planter dans le haut de la cuisse gauche de sa cible. Elle perdait toutes ses capacités en tir tant elle était troublée par ce geste, ce parfum, ce souffle, ce contact, cette proximité... Elle voulut se concentrer sur son tir, mais celui-ci fut, comme le précédent, raté. Elle était trop déstabilisée pour pouvoir tirer à nouveau, ou risquait fort de faire une balle perdue. Ses mains tremblaient sans qu'elle puisse se contrôler. C'était comme quand elle avait quatorze ans. Quand leurs doigts s'étaient frôlés alors qu'il lui tendait sa carte. Exactement la même réaction qu'elle avait eu, trois ans plus tard, après l'avoir appelé pour qu'il la réconforte. Ainsi donc, malgré tout ce temps, elle ne pouvait décidément pas se l'arracher de sa tête et continuait de se rendre ridicule en sa présence. A coup sûr, il ne voudra pas d'elle dans son équipe, il suffisait d'un rien pour la déstabiliser et ce rien l'empêcherait de tirer correctement en cas de besoin. Elle serait plus une gêne qu'autre chose. Sachant pertinemment que si elle s'obstinait à tirer dans l'immédiat, ses tirs seraient ratés, elle préféra reposer son arme, oubliant par la même occasion la présence de son supérieur pour se calmer. Ses mains tremblaient tellement qu'elle ne pouvait plus rien tenir et les larmes lui montaient aux yeux sans qu'elle ne sache pourquoi. Elle se forçait à souffler, respirer, mais rien n'y faisait.

Aaron l'observait toujours, elle prenait son temps, mais cette fois ci, quelque chose lui parut étrange, elle tremblait légèrement, comme si elle ne pouvait pas se contrôler. Elle essayait de se calmer et tira, mais la balle alla se planter au niveau du haut de la cuisse gauche. Son tir était nettement moins précis et contrôlé que les précédents. Un autre tir retentit et une fois encore, la balle s'encastra au niveau du ventre. Hotch ne savait pas très bien ce qu'il venait de se passer. Natasha était passée de calme à extrêmement stressée en moins de cinq minutes. Il pensa que c'est parce qu'elle avait loupé son premier tir et comme il était présent, elle était surement destabillisée. Natasha reposa son arme mais elle était toujours de dos.

Avec un peu d'entraînement, vous allez y arriver, ne vous en faîtes pas.

Il s'avança un peu vers elle et remarqua qu'elle tremblait de plus belle et que ses yeux commençaient à être brillants, baignés par les larmes. Natasha avait commencé à avoir cette réaction quand il lui avait levé légèrement les bras. Il commençait peu à peu à comprendre, mais il voulait en être sûr.

Que se passe t-il ? demanda t-il d'une voix qui se voulait la moins sévère possible.

Il aurait voulu la prendre dans ses bras à cet instant précis, mais il fallait rester professionnel. Voir Natasha se mettre dans un tel état l'attrista, il repensa à la toute première fois qu'il l'avait vu, dans cette chambre d'hôpital, les yeux rougis par les larmes qui ne cessaient de rouler sur ses joues. Elle venait tout juste d'être retrouvée au bord de la route, après avoir été violée.

La jeune femme blonde s'était vivement retournée en entendant la voix de son supérieur et manqua de le percuter de plein fouet ; il s'était approché de quelques pas sans qu'elle ne l'entende, et une fois sa surprise passée elle se rendit compte de l'état dans lequel elle se mettait pour si peu. Elle expira en essayant un sourire, ne fut elle-même pas convaincue du résultat mais ne pouvait, pour l'instant, pas offrir mieux et elle essuya rapidement ses yeux. Mais, alors qu'elle planta son regard acier dans celui, au contraire, profond et sombre tel un gouffre sans fin, son coeur loupa un battement et sa respiration se perdit pour reprendre un rythme emballé et trahissable. Il était proche. Peut-être même trop proche au goût de Natasha qui, malgré tout, ne recula à aucun moment, comme paralysée, clouée sur place. Les yeux encrés dans ceux de l'agent Hotchner, son corps pratiquement collé au sien, son visage laissant filtrer une expression inquiète, la bataille faisait rage dans son esprit pour ne pas se jeter dans ses bras. Ca semblait irréel, cette situation, leur proximité, cette scène, cette guerre de sentiments, cette bousculade de pensées. Non, c'était trop complexe pour un cerveau humain. On ne pouvait décemment pas ressentir autant de chose à la fois, parvenir à rester un minimum calme et conserver le contrôle de son corps à la fois. Pourtant...

Rien. Elle finit par fondre sur ses lèvres qui l'attiraient depuis si longtemps, goûtant enfin au plaisir de pouvoir lui voler un baiser depuis le temps qu'elle en mourrait d'envie. Elle risquait gros, elle le savait, mais, au fond d'elle, une petite voix sournoise la contraignait à ne pas se détacher de cette bouche contre lesquelles elle était collée. Un rêve ? Oui, un rêve d'adolescente perdue, détruite à jamais. Un rêve de jeune adulte cherchant une oreille attentive, des bras pour la réconforter, quelqu'un pour être à ses côtés. Un rêve d'adulte accomplie, amoureuse. Car oui, amoureuse, elle l'était. Depuis près de quatorze ans maintenant. Et il ne se passait pas un jour, depuis qu'elle l'avait rencontré, sans qu'elle ne pense à lui. Il y a bien eu des périodes où il n'occupait plus ses pensées en priorité, mais à chaque fois, quelque chose, un incident, un évènement, une date, le faisait revenir.

Elle mit fin au baiser, les joues en feu, l'air honteuse, n'osant plus affronter son regard terrifiant. Elle ouvrit la bouche, tourna les yeux, voulut parler, mais aucun son ne franchit le seuil de ses lèvres et elle se tut. Elle ne dit rien car il lui semblait qu'on lui avait dérobé ses cordes vocales. Elle respirait de longues bouffées d'air, priait pour se réveiller très vite, mais rien n'y faisait. Elle restait là, en face de lui. Puis, enfin, son corps décida de lui obéir, et elle murmura un vague « Désolée, je... Je ne sais pas ce qui m'a pris » avant de récupérer son arme, la ranger dans son étui et se faufiler entre son supérieur et le stand afin de s'évaporer de cette pièce et sans doute se cacher dans les toilettes pour les cinq prochaines heures. Ou les trois prochains millénaires.

« Idiote, idiote, idiote ! Imbécile ! Bien joué, vraiment. Sur une échelle de un à dix sur ton niveau de stupidité, je te mets quarante-cinq. Tu es devenue folle ou quoi ? Embrasser l'agent Hotchner, ton supérieur ! Génial ! Qu'est-ce qu'il va penser de toi maintenant ? Déjà qu'il devait te prendre pour une tarée névrosée, mais là... » Ses pensées furent interrompu par une poigne délicate qui lui attrapa le poignet, l'obligeant à se retourner et avant qu'elle n'ait eu le temps de s'excuser une nouvelle fois auprès de son supérieur, deux lèvres se posaient sur les siennes. Sur le coup, elle ne comprit pas. Ou du moins, son cerveau mit plusieurs minutes avant de se mettre à jour sur sa situation actuelle et s'apercevoir qu'il l'embrassait. Pourtant, elle avait eu la certitude, peu de temps auparavant, qu'elle n'était pas en train de rêver. Alors comment, et surtout, pourquoi, l'agent spécial Aaron Hotchner était en train de l'embrasser ? Deux questions pour le moins idiotes et inutiles et intimant à son cerveau ainsi qu'à sa conscience de se taire, la jeune blonde passa une main sur la nuque de l'homme. Elle ne sait pas combien de temps elle resta ainsi, mais ils finirent par se détacher l'un de l'autre une seconde fois et, de nouveau, aucun ne sut que dire. Ce qui venait de se passer entre eux leur était interdit et ils jouaient gros, s'ils décidaient de continuer, mais Natasha savait qu'elle ne pourrait plus faire comme s'il n'y avait rien, maintenant qu'elle savait que ce qu'elle éprouvait était réciproque. Mais étaient-ils prêts à risquer leur place pour conserver leur relation stable ? Du point de vue de Natasha, oui, elle savait que, bien que le travail fédéral était sa vocation, elle pourrait toujours retenir dans le journalisme, et retourner à Washington DC, étant prête à renoncer à sa place au Behavioral Analysis Unit si leurs supérieurs hiérarchiques advenaient à l'apprendre, mais en était-il autant pour Hotch ? Son cerveau réfléchissait à une telle vitesse qu'elle commençait à avoir une migraine et son coeur ne s'était toujours pas calmé. Peut-être même qu'il avait agit sans réfléchir et surtout, sans le vouloir et qu'elle était en train de se faire tout un film pour rien. Peut-être qu'il allait s'excuser dans les minutes qui allaient suivre et lui dire que ça ne recommencera jamais et que, contrairement à elle, il ne ressentait absolument rien. Elle ne comprenait pas ce qui venait de se passer et appréhendait ce qui allait suivre...

Son monde venait de s’effondrer. Elle voyait même la salle de tirs en train de se tomber en ruine, elle sentait le sol trembler sous ses pieds, l’apocalypse était là. C’était la fin. Ce qu’elle avait craint le plus était en train de se produire. Il l’avait embrassé sous une pulsion, sans qu’il ne ressente quelque chose, tandis qu’elle, l’avait embrassé… Par amour. Elle ne savait vraiment plus où se mettre à présent, ni quoi faire. Elle essayait de lever le regard pour l’observer dans ses yeux, mais elle n’en n’avait pas la force, pas le courage. Embarrassée, terriblement gênée, incroyablement mal à l’aise, elle recula de quelques pas, remit d’une main tremblante une de ses boucles parfaites derrière son oreille, laissant ses doigts se perdre dans ses cheveux blonds. Il fallait qu’elle sorte de cette pièce, l’air était compressé, tant et si bien qu’elle avait du mal à respirer correctement et il lui semblait que son cerveau ne pouvait s’aérer et lui permettre de réfléchir comme elle le devrait. Que devait-elle faire ? S’éclipser à toute vitesse et prier pour ne plus jamais le croiser ? Ou s’excuser pour la énième fois et inventer n’importe quel prétexte pour ne plus se retrouver ici ? Le café ! Quel meilleur prétexte que cette douce boisson ? Décidément, le café lui sauvait toujours la mise ! Maintenant, était-elle encore capable d’articuler une phrase compréhensible ? Elle allait avoir la réponse d’ici quelques minutes. Si elle parvenait à respirer calmement, bien sûr.

Je… Euh… Ce… Je vais remonter… Je… Suis désolée, encore. … Au revoir monsieur.

Elle avait dû mettre près de sept minutes pour articuler correctement cette simple phrase et, toujours aussi rouge au niveau des joues, elle tourna les talons, pour la seconde fois en quelques minutes, et sortit en toute hâte de la pièce. La porte une fois refermée, Natasha souffla, et resta collée contre le mur, comme si elle avait réussi à semer un de ces monstres qu’on peut voir dans les films d’horreur et ferma les yeux. Elle tapa le mur avec sa tête, quelques chocs légers qui n’avaient pour but que se maudire plus que faire mal, et se traita d’idiote à chaque coup.

Comment as-tu pu croire qu’il pouvait… ? Raaah ! Natasha Williams, tu n’es qu’une imbécile ! Une imbécile, une imbécile, une imbécile !

Elle marmonnait entre ses dents, mais les quelques personnes qui passaient à côté d’elle pouvaient quand même l’entendre – et la comprendre – et lui lançaient des regards qui pouvaient laisser croire qu’elle était totalement folle. Quoique, réflexion faite, elle devait l’être, pour embrasser son supérieur !